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Le Trésor des Laures
4 avril 2021

Chapitres 1 à 3, TOME 1

La loyauté à la loi intérieure est le plus haut degré du sentiment.

Ce qu’on cherche en réalité est la source de vie et que l’énergie coule en nous. Le but véritable est de sentir la vie couler en soi de telle sorte qu’elle ait un sens.

M. L. VON FRANZ

  

1

  

Décembre 2002. « Écris ou tu mourras », c'est la dernière injonction de mon guide.

Je n'ai pas d'autre alternative que ces deux options. Option A : Écrire. Option B : Mourir.

Je me vois déjà au bord de la mort. D'une double mort, l'une physique, à cause de ces malaises répétitifs dont on ne trouve pas encore la cause, les examens sont en cours. L'autre psychologique, celle de ne plus pouvoir exercer le métier que j'aime tant, médecin à l'hôpital local. Mais quand bien même l'écriture me sauverait d'une mort physique, comme me le dit la voix de mon guide, et elle a toujours eu raison jusqu'à présent, puis-je encore échapper à la mort professionnelle ? En supposant qu'à l'issue de ce travail d'écriture je sois suffisamment valide pour mener une vie tranquille me permettant d'écrire, mais pas assez pour me rendre à ma vie « normale » et à ce métier qui me passionne aujourd’hui plus fort que jamais, comment pourrais-je vivre ? Vivre sans accomplir ce qui me semble être ma vocation depuis mon plus jeune âge ? 

Écrire pour ne pas mourir…

Il y a encore pire pour moi que la mort physique et même professionnelle, c'est une mort que j'ignorais avant cette histoire folle, cette histoire extraordinaire d'une femme toute ordinaire (d'une humaine toute ordinaire, devrais-je me borner à dire). Au stade où j'en suis j'accepte pleinement ma mort, bien que me paraissant bien prématurée. Et surtout pour mon mari et nos trois enfants, mais je ne peux imaginer, non je ne peux prendre le risque de ma mort spirituelle ! Je préférerais n'avoir à vivre ne serait-ce qu'une heure remplie de sens plutôt que dix ans qui en seraient privés.

« Écris ou tu mourras ».

 Je connais trop bien cette voix, cette « voix intérieure », parfois impérieuse, cette voix d'un esprit qui me guide et me donne des ordres depuis cinq ans. Sous son impulsion j’ai tout noté dans un journal, les rêves, les songes éveillés, les messages et les révélations.

 Je n'ai pas d'autre choix que de reprendre ce matériau brut, de retrouver le fil de cette histoire, ce qui me rangera assurément dans la catégorie des grandes folles de l'humanité, peut-être dans le rayon des « mystiques » (mot qui m'agace profondément), à mille lieues de ce qui m’anime en tant que médecin, profession basée sur la rationalité et plutôt sur la Science avec un grand S, comme on écrit Dieu avec un grand D.

 D’ailleurs si mon histoire était publiée alors que je retrouvais mon travail, ma réputation en prendrait un sacré coup et nuirait à ma carrière. Médecin et « mystique », est-ce compatible ? Pourtant pour éviter ce risque aurais-je préféré rester dans l'ignorance qui était la mienne il y a plus de cinq ans ? Ce n’est pas ma nature, je me suis toujours efforcée de regarder le plus lucidement possible ce qui m’arrivait. Une chose est sûre, même en admettant que je sois « dérangée », je n'ai pas inventé une telle histoire. J'en aurais été bien incapable. Et qui sait si je l'ai comprise ? Ce que me demande mon guide aujourd'hui c'est de l'assumer complètement sous peine d'en mourir !

L'écriture est porteuse de lumière, ce qui émerge dans la conscience exposée sur papier est comparable à ce produit chimique qui fait la lumière des lucioles : la luciférine... Je ne suis qu'une petite luciole, une humble servante amenée à sauver un homme malgré moi, pauvre ignorante, enfermée dans mes croyances, illusions et certitudes. Prisonnière d'une conscience étriquée, à tout le moins très limitée, j'ai été par le biais d'un service « aveugle » enseignée pour aimer du véritable amour. De plus, sur ce long et périlleux chemin j'ai reçu un trésor de connaissance, « le trésor des Laures » apparemment destiné à une autre personne. Je comprends que maintenant je dois me l’approprier et peut-être le transmettre plus largement.

 Pourtant en proie au démon du doute que je connais si bien, je me dis : à quoi bon ? Combien de gens seront intéressés par cette histoire ? Combien seraient prêts et aptes à relever ce défi, tel qu’il s'est présenté à moi ? Combien accepteraient de renoncer à leurs certitudes, pensant comme moi autrefois que ce que l'on pense est forcément vrai puisqu'on le pense ? Bref, combien sont prêts à suivre le récit de mon parcours sur ce chemin mystérieux et sur les traces d'un trésor occidental méconnu ?

Ah ! J'aurais aimé rédiger un roman à la manière d'Eliette Abécassis avec son Qumran que j'ai lu récemment, le must de ce que l'on peut faire en intrigue mêlée à des connaissances « ésotériques », mais d'une part, je n'en ai pas le talent, d'autre part, je trahirais ma mission, et à ce que je sache je n'ai pas à inventer une histoire de toute pièce puisque je l'ai vécue ! 

 De toute façon je ne peux plus reculer, selon mon guide « les conditions de ma vie actuelle me sont données pour accomplir cette tâche », il me faut donc me lancer, ma vie est suspendue à un fil, un fil tendu entre cœur et esprit, le fil de ma plume.

Écrire ou mourir ? Je choisis d'écrire et je lance toutes mes forces dans la bataille pour sauver une vie, la mienne, peut-être !

  

Nous avons discuté avec Georges, nous sommes bien conscients de la gravité de mon évolution de santé et médecins tous les deux nous sommes d'accord, il y a une forte probabilité que j'ai une pathologie grave, voire mortelle pour me retrouver aussi brutalement dans cet état d’épuisement. Georges avant d'être mon mari avec tout ce que cela implique est surtout mon ami et premier confident. Il sait que j'ai des visions, que j'entends des voix qui me donnent des ordres ou me préviennent de certaines situations. Il respecte ce que je vis d'autant qu'il en voit les effets positifs depuis des années et me soutient tout en étant vigilant pour réagir si cela m'entraînait trop loin. Mais comment ne pas penser à une tumeur du cerveau ?

Je lui dis qu’en attendant d’avoir un diagnostic je ne dois pas perdre de temps, je dois écrire pour espérer aller mieux. Il sait que c'est toujours bénéfique de faire le point sur sa vie et il m'encourage à le faire en étant le plus franche possible. Il me donne aussitôt son vieil ordinateur qui fonctionne avec des disquettes d'enregistrement. Il se chargera de faire imprimer le manuscrit si besoin. C'est mieux que la machine à écrire électronique dont je disposais, qui ne gardait en mémoire qu'une page à la fois ! Évidemment il veut tout lire et ne veut pas que je l'épargne. Il attendra la fin... et si je n’y arrive pas, il pourra regarder le fatras désordonné qu’est devenu mon journal au fil du temps en s’enrichissant des données de mes recherches pour mieux comprendre ou vérifier les enseignements que je recevais intérieurement grâce à mon guide.

 

J'ai aussi embarqué dans cette histoire mon amie Alicia, elle vient de temps à autre partager des moments familiaux chez nous bien qu'elle n'aime pas vraiment Georges trop sûr de lui à son goût. Nous collaborons depuis des années à des formations de soignants, principalement sur des thèmes d'accompagnement de patients lourdement handicapés ou en fin de vie.

Elle connaît les grandes lignes de mon histoire avec Mandro, le jeune commercial contacté par Georges depuis début mai 98. J'étais alors très angoissée avant de faire un voyage à Toulouse avec lui. Je voulais confier à Alicia des documents pour mes proches au cas où mes craintes d'un accident mortel se vérifieraient. J'ai retrouvé dans un carton de dossiers professionnels le portrait qu'elle avait fait de moi lors d'une formation en petit groupe avec un autre psychologue formé à l'école américaine. Comme souvent lorsque nous étions ensemble, nous avions bien détendu l'atmosphère ce jour-là !

Pour ce portrait elle avait écrit : « Bientôt âgée de quarante ans, Estelle mène une vie ordinaire dans son tranquille village aux côtés d'un mari dont les formes et le caractère ont pâti de ce relâchement qu'on observe fréquemment chez les hommes mariés sédentaires. Leurs trois enfants ne l'empêchent pas d'être très active professionnellement. Elle est dotée d'un physique ordinaire et c'est plutôt un atout pour son activité. Elle ne fait rien pour se mettre en valeur, mais elle a du charme, de la vivacité. Ses traits affirmés, signes d'une personne de caractère, sont éclairés par des yeux bleus-gris au regard chaleureux. Je suis habituée à ses cheveux châtain clair attachés à la va-vite en simple queue de cheval et à ses tenues sans recherche, confortables en toutes circonstances.

J'apprécie sa gentillesse, son sérieux dans les engagements et sa spontanéité teintée d'humour qui lui permettent le plus souvent de s'adapter aux situations délicates avec une efficacité que je lui envie. »

 

Physiquement Alicia est tout mon opposé, une petite rousse à la tignasse flamboyante, très mince et élégante sans être trop sophistiquée, elle se déplace le plus possible en vélo. Sérieuse dans son travail, elle ne perd pas une occasion de rire, mais jamais aux dépens des gens. Elle sait mieux que personne recadrer un groupe tout en facilitant l'expression de chaque personne. A nous deux nous formons une très bonne équipe et nous pouvons toujours compter l'une sur l'autre. Elle a accepté de m’aider dans cette nouvelle étape. Elle m’a conseillé de commencer par faire le point sur ma vie avant d’aborder la rencontre qui a tout changé.

 

 

2

  

Je travaille à temps partiel comme médecin dans un Centre de soins local. Et ma cause maximale de stress ces dernières années a été Fabrice. C’est un soignant au physique de jeune premier, aux gestes pleins de grâce, il ne travaille pas, il danse !  De loin il ressemble à Rock Voisine, c'est un beau brun rieur et d’une grande douceur. Toutes les femmes qui l'approchent tombent sous le charme, tous les patients le réclament, et surtout les patientes de 7 à 107 ans ! Et moi ? Moi ? Coup de foudre au premier regard, et en 1998 lorsque je rencontre Mandro, je suis follement amoureuse de Fabrice depuis des années. Je lutte contre mes sentiments alors qu'il ne cherche qu'à se rapprocher de moi au travail en montrant régulièrement beaucoup d’intelligence et surtout une prévenance affectueuse. Mais comme disaient les autres peut-être pas dupes : « il veut se la faire ! ».

Au Centre de soins on m'affuble de surnoms gentils dont « Madame Baisemain », car ayant depuis toute petite beaucoup de mal avec le contact physique spontané, lorsqu'un de mes patients veut me prendre dans ses bras, voire m'embrasser sur la joue en signe de reconnaissance et d'affection, je lui tends instinctivement la main... Maintes fois je me suis retrouvée avec une main emprisonnée sur laquelle on pleurait à chaudes larmes, maintes fois on me l’a baisée comme celle d'une dame d'autrefois et même les chefs s'y mettaient parfois ! Fabrice a essayé une fois, je le lui ai formellement interdit.

Lui, son surnom est Bonnemain. Il lui arrive de proposer des massages très appréciés à certains patients douloureux ou même à des soignants lors des pauses. Ce procédé peu habituel pourrait paraître suspect mais venant de lui c’est le raffinement même, et puis tout le monde sait qu'il a cela dans le corps. Ce côté tactile, c'est un don, je dois le dire presque thérapeutique. Grâce à lui j'ai beaucoup appris du toucher, difficulté pour moi. Cela lui vient peut-être de ses origines polynésiennes.

Je me souviens d’un moment mémorable : il entre dans le bureau collectif où je rédige une prescription, il tient à me parler d'un patient et spontanément se met à genoux. Il s'exprime avec tant d'enthousiasme que je n'ai pas le cœur de l'interrompre pour le faire asseoir ! Une fois de plus je suis piégée, il me touche sans arrêt comme par mégarde, comme on caresse un chat pour l'apprivoiser. Encore et encore. Je n'en peux plus. Je le désire terriblement au point de vouloir le « posséder » et en même temps je n'ai qu'une envie : fuir ! Mais il n'arrête pas de parler. Soudain, la porte s'ouvre. C'est le chef de service, Docteur Mario. Innocemment Fabrice le prend à partie et l'inclut aussitôt dans notre conversation. Si Fabrice a dix ans de moins que moi, Mario en a largement dix de plus. Fasciné à son tour il met lui aussi genou à terre, ce qu'il fait souvent. J'ai maintenant deux hommes à mes pieds, Fabrice à ma gauche, l'autre à ma droite. Je prends soudain conscience du tableau que nous formons, et j'interviens.

– Ah non ! Pas deux en même temps. Asseyez-vous si vous voulez qu'on en discute, sinon je m'en vais.

Dociles, sans un mot, c'est ce qu'ils font et nous reprenons la conversation comme si de rien n'était ! Ouf !

Mario m'aime bien, mais je garde aussi mes distances avec lui. Je l’ai déjà accompagné en congrès, voyage et hébergement à deux, rien à dire. Je n'ai pas pris le risque par contre de faire la même chose avec Fabrice quand l’occasion s’est présentée, la tentation aurait été trop forte ! Mario tout comme les hommes de sa génération est un peu macho, il me présente toujours en signalant ma situation familiale. Il a renvoyé la jeune femme médecin qui me précédait avec l’argument qu'elle serait mieux aux côtés de son mari et de ses enfants... Il est vrai qu'elle faisait 40 km par jour pour un contrat à durée déterminée. J'ai pris la suite et comme j'ai donné satisfaction mon contrat a été transformé en mi-temps à durée indéterminée. Pour compléter il n'a pas tardé à m'envoyer faire des formations destinées à différents publics. C’était un défi pour moi qui avais été d’une timidité maladive, au point d'être terrorisée, enfant, lorsque je devais aller chercher du pain parce que je n'osais pas prendre la parole et que la boulangère - un peu sadique ? - faisait passer tout le monde avant moi comme si j’étais transparente. 

C'était le style de Mario et il n'y avait pas à discuter, direct dans le grand bain et on voit après comment ça se passe. Cela s'est révélé être un traitement radical pour ma timidité, j'ai fini par surmonter mes difficultés et l’enseignement en formation continue est même devenu une passion !

 

Mon mari, Georges était aussi un macho. Si les premières années cela n'apparaissait pas trop, avec l'âge et les responsabilités professionnelles c'est devenu de plus en plus lourd. Il avait des idées toutes faites sur ce qu'une femme devait faire ou ne pas faire, sans réciprocité bien entendu. Nous étions encore étudiants lorsqu’il a eu une relation avec une autre femme, il ne voyait pas où était le problème. Et quand je lui ai dit : « Tu imagines si je faisais la même chose ? », il a répondu « les femmes, c'est pas pareil. » Il avait proposé de prendre un appartement pour vivre comme il le désirait et continuer la vie conjugale en même temps. Georges était persuadé que tout le monde pensait comme lui. Je lui avais proposé le divorce en réponse. Il avait réfléchi trois jours puis il était revenu, sa dulcinée l'ayant largué pour aller s'occuper de chèvres dans une ferme en ruines avec son compagnon finalement pas si mal. Il n'avait été qu'un intermède, il a fallu que je le console et je lui ai même pardonné. Mais j'ai posé mes conditions. A l'époque pour satisfaire ses gros appétits sexuels j'acceptais autant de relations qu'il voulait, parfois jusqu'à trois fois par jour. La quantité primait sur la qualité ! Après son incartade c'était fini, puisque cela ne l'avait pas empêché d'aller voir ailleurs, il allait devoir tenir compte de mes désirs. Il était frustré, mais reconnaissait que c'était plus intéressant ainsi, d'autant que la dulcinée lui avait appris quelques trucs, cela s’est donc révélé tout bénéfice pour moi.

Lorsqu'il avait recommencé ses incartades conjugales, notre fille aînée, Nadège, avait déjà deux ans. Il ne tenait plus en place, travaillé par une libido débordante. Nous nous étions mariés si jeunes, il avait besoin de vivre sa vie... La décision a été terrible à prendre, j'ai eu le sentiment de tout perdre, mais j'ai tenu bon et je lui ai imposé le divorce. Non sans larmes, mais sans un reproche, notre séparation a été parfaite. Faute de moyens nous sommes restés en colocation et grâce aux gardes, aux stages hors agglomération, nous nous sommes relayés sans problème pour nous occuper de notre fille.

 

Après notre séparation Georges avait rapidement trouvé la compagne parfaite pour lui et gentille avec Nadège. Elle lui cuisinait de bons petits plats et était en admiration devant lui, mais il s'ennuyait avec elle, alors il est revenu vers la « chieuse de service ». Il m'a avoué que je n'étais pas son idéal de femme, je lui ai dit qu'il n'était pas mon idéal d'homme non plus. Il m'a dit qu'il m'aimait vraiment et voulait vivre avec moi. J'ai dit « On est d'accord. Je t'aime aussi. Mais je te propose qu'on se le dise rapidement et qu'on se sépare si un jour tu trouves mieux que moi. » « Et toi ? » m'a-t-il dit. « Et moi de même. Ah ! égalité homme-femme mon coco. » Nous avions bien discuté et il m’avait affirmé que si j’allais avec un autre homme, il ne s’en remettrait jamais. J’avais lu dans ses yeux que c’était probable. Je lui ai dit : « je ne te tromperai jamais, j'en fais le serment, mais si un jour j'ai l'occasion d'embrasser un homme, j'en profiterai pleinement. » De ce jour, il s'est engagé envers moi, il a appris à me respecter et j'ai enfin connu mon premier orgasme plusieurs années après notre première nuit !

 

Finalement c'était incompréhensible que je n'aie pas saisi l'occasion du baiser amoureux avec Fabrice. Il s’était pourtant arrangé pour que nous ne soyons que tous les deux à partir en formation de deux jours à Paris avec une nuit d’hôtel… Ce n'était pas faute d'en avoir envie mais je savais que je ne pourrais pas me cantonner à cela avec lui. Il faut dire que si j'avais toujours été facilement amoureuse, je n'étais pas très portée sur la consommation sexuelle. Un moment d'éventuel plaisir de cet ordre ne me semblait rien au regard de mon engagement envers Georges et notre famille.

Adolescente déjà je me faisais draguer par des garçons attirés par celle de la classe qui avait la plus belle paire de seins, j’étais plus grande que les autres. Mais mal à l'aise dans ce corps poussé trop vite et me sentant très enfant dans ma tête, je ne comprenais pas ce qu'ils me voulaient, je n'éprouvais aucun désir pour eux. Je me caressais parfois en solitaire parce que cela semblait être la norme, juste parce qu’un immense plaisir m'envahissait alors et que cela me faisait du bien au moral. Et comme je n’avais jamais été au catéchisme, je n’étais pas encombrée par les croyances religieuses catholiques de l’époque. Je n’y voyais aucun mal, je trouvais cela naturel, une fonction normale de mon corps.

 

J'y pense maintenant, il y a peut-être une autre raison pour que mon corps ait été sans cesse sur la défensive, que j’ai mal supporté le contact. Ce sont les multiples agressions subies, d'abord du fait de ma mère qui après m'avoir sauvée à la naissance contre l'avis des professionnels autour d'elle, disait avoir droit de vie ou de mort sur moi. Plusieurs fois elle m'en avait fait la démonstration, elle avait failli m'étrangler au point que j'avais cru mourir, elle demandait à mon père de me frapper sans même lui en expliquer les raisons et lui s'exécutait sans discuter. Et j'ai aussi eu un accident à l’adolescence. Au centre de mon village, j'ai traversé la rue sur un passage piéton, une voiture arrivant à très grande vitesse m'a percuté. La forme de ma tête et de mon corps s'était moulée sur la carrosserie, m'a-t-on dit. Je m’en suis tirée avec un bon trauma crânien — avec juste une fêlure ont dit les médecins — mais une belle perte de connaissance, un dos en compote, un visage marqué de quelques cicatrices. Je suis une miraculée.

  

Enfant je vivais en campagne, mes parents tenaient un commerce-atelier de quincaillerie et réparation d’engins agricoles. La lecture a été mon salut, mon refuge, mon seul endroit d'intimité. Alors que mon corps ne m'appartenait pas vraiment, les livres eux me possédaient avec délice, envahissaient mon esprit tout en ayant un effet physique agréable. J'étais transportée à d'autres époques, je vivais des aventures formidables. Mon romancier préféré était Alexandre Dumas, surtout pour Les trois mousquetaires. Je l'ai lu une dizaine de fois ! 

Je partageais la chambre avec ma sœur cadette et pour ne pas la déranger, je lisais avec une lampe de poche sous les draps. Plus tard au Lycée, à l'internat des filles, avant de dormir je m'isolais dans la douche, le seul endroit où la lumière n’était pas repérée par la surveillante de dortoir, et je m'offrais le délice d'au moins une demi-heure de lecture avant de regagner mon lit.  

Petite, j'étais un garçon manqué, j'avais un caractère bien trempé, j'étais naturellement chef de bande. Une bande de garçons qui parcourait en tous sens les chemins et abris plus ou moins accessibles de la commune. Les filles préféraient des activités plus calmes. J'ai longtemps été la plus grande de notre bande et sans être bagarreuse pour autant, lorsqu'un petit était attaqué par un plus grand, je ne réfléchissais pas longtemps et le problème était vite réglé. Ma technique était d'une efficacité redoutable. J'étais gentille, mais il ne fallait pas me chercher, disait mon père. Puis un jour, je me suis rendu compte que les garçons de mon âge avaient bien grandi eux aussi, je me suis retrouvée par terre, je n'étais plus assez forte, c'était terminé. Nous n'avions plus non plus les mêmes centres d'intérêt et j'ai quitté le monde des garçons.

 

3

 

Un chapitre pour une vie, il ne faut pas rêver, je ne m'en sortirai pas comme cela. Mon guide a encore insisté dans un de mes rêves cette nuit. Je sais bien que ce n'est pas ce qu'il veut que j'écrive, mais comme me l’a suggéré Alicia, j'ai d'abord besoin de faire le tour de ma vie en tant que simple humaine avant de plonger dans l’histoire qui me motive à écrire maintenant.

Pour aller au travail je prends ma voiture, Georges a la sienne. Je ne peux donc pas faire autrement que de conduire, bien que je n'aime pas cela, j'ai toujours peur d'un accident depuis celui de mon adolescence. J'arrive à me détendre en écoutant la musique à la radio. Quinze kilomètres séparent le lieu de mon travail principal de la belle maison que nous habitons depuis une bonne dizaine d'années. Georges et moi, on est parti de peu, on a vécu longtemps dans un appartement modeste, mais à force de travail, au bout de nos études, nous nous sommes offert un chalet entouré d'un grand jardin boisé, un petit paradis pour lequel on a eu le coup de cœur. Cette maison, c'est un bonheur. Georges a voulu un mouton pour tondre la pelouse, il en fallait au moins deux pour qu'ils se tiennent compagnie, ils ont pris place parmi dix poules picorant librement. Lorsque nous fermons le portail, nous sommes comme eux, libres et comme en vacances.

Je suis arrivée avant Georges à la Fac de médecine, parce que j'étais plus âgée de presque trois ans. Juste après mon bac ma mère a voulu m'inscrire à Angers, elle a rapidement repéré les coordonnées d'une secrétaire de la fac qui louait des chambres. Elle ne voulait que des étudiantes, j’ai emménagé dans une minuscule chambre avec lavabo. Je ne me souviens plus des autres filles occupant les deux autres chambres. Ma logeuse vivait seule dans une grande maison bourgeoise avec ses deux enfants qui étaient un peu plus âgés que moi. J'ai vécu là, dans une chambre sous les toits, pas isolée donc mal chauffée, il y avait juste un lit d’une place, une petite table sous la fenêtre et une armoire. C'était des conditions très spartiates, mais cela me convenait, j'étais enfin seule pour la première fois de ma vie. J'y avais préparé le concours de 1° année de médecine, c'était très dur et j'étais persuadée que je n'y arriverai pas. Mes parents avaient de grandes difficultés financières au point qu'ils ne me versaient pas les bourses d'étude qu'ils touchaient pour moi. Ma mère payait le loyer, les tickets-restaurant pour prendre un repas par jour, les tickets de train et me donnait quelques provisions à emmener quand je rentrais à la maison le weekend. Je ne pouvais pas redoubler car mes parents auraient perdu les bourses... donc si j'échouais au concours j'avais un plan B. J'avais passé en même temps le concours d'infirmière qui comportait des tests psychologiques, un test de QI et un entretien, le plus difficile pour ma timidité. Mais j'avais été jusqu'au bout et j'avais été reçue aux deux concours.

 

Après des vacances en famille et un échec au permis de conduire, j'étais passée en deuxième année. Lors de cette deuxième rentrée, ma mère qui s'entendait bien avec ma logeuse me dit que cette année elle a fait une exception pour accueillir un très jeune homme de seize ans. Apparemment c'était un peu compliqué comme situation. Il n'avait aucune possibilité de logement parce qu'il s'y était pris au dernier moment. Émue par sa situation et rassurée par sa jeunesse, la logeuse avait fait une entorse à ses principes d'exclusivité féminine et elle avait su convaincre ma mère qui avait accepté cette intrusion.

Georges était le jeune en question, normalement il attendait une réponse pour intégrer une école d'ingénieur, mais ne l'ayant pas reçue à quelques jours de la rentrée (elle arrivera la semaine suivante) il s'était rabattu sur la seule école de son secteur géographique qui n'avait pas d'anglais au programme obligatoire. Il ne pensait donc pas au départ être médecin, il a choisi la Fac de médecine par dépit.

Notre première rencontre au bout d'un mois environ n'a pas été à mon avantage. Je n’avais pas mes clés et j’ai cru que la porte était fermée comme d'habitude. J'avais essayé un peu de l’ouvrir mais je n'avais pas assez forcé. Il faisait relativement beau, j'étais assise sur le perron et j'attendais la première personne qui se présenterait avec la clé. Le nouveau locataire, Georges, est arrivé, il a constaté que la porte n’était pas verrouillée. Il m'a pris pour une imbécile, je l'ai pris pour un blanc-bec en me disant qu'en effet avec lui je n'avais rien à craindre. Mais nous étions au même étage sous les toits. 

Un soir il est venu me voir parce qu'il ne savait pas faire cuire du riz sur son petit réchaud. Il avait rempli une casserole d'eau et mis du riz à ras bord. Il ne pouvait bien sûr pas réussir. En termes de ridicule nous étions quittes ! Petit à petit on a passé du temps ensemble, on s'est raconté nos vies, on s'est compris. Il avait toujours été traité d'extra-terrestre, trop intelligent, trop rigoureux... et moi j'avais conscience d'être différente des autres, même si pour me fondre dans la masse je faisais profil bas. Bref, nous étions du même arbre et nous ne nous sommes plus vraiment quittés.

Notre différence d'âge me gênait beaucoup, mais lui savait ce qu'il voulait et nous avons imposé notre relation avec plus ou moins de bonheur à notre entourage. Personne ne croyait que notre union durerait sauf peut-être ses grands-parents qui avaient pris notre parti. Notre mariage a été célébré l'année de ses dix-huit ans, juste pour que nos familles nous permettent d'habiter ensemble dans de meilleures conditions. Nous ne nous sommes pas jurés fidélité, nous avions conscience que nous étions trop jeunes, mais nous nous sommes promis de ne pas nous mentir au cas où l'un de nous aurait des envies d'ailleurs.

 

Nous avons fait nos études de médecine en parallèle avec une année de différence. Après le mariage, j’ai découvert que je n’avais plus de bourses et il était hors de question de dépendre de mes beaux-parents. J'ai donc travaillé pour payer mes études, d'abord agent d'entretien l'été, puis aide-puéricultrice un autre été pour assister un gynécologue-obstétricien pour les accouchements et m'occuper des nouveau-nés. Cela m'a donné l'occasion d'une première rébellion professionnelle. L'obstétricien avait fait exprès de faire tomber une boîte d'instruments et m'a demandé de la ramasser avec un regard ambigu. Je lui ai dit qu'il pouvait le faire lui-même, il a menacé de me renvoyer, j'ai préféré démissionner. Georges me l'a reproché même s'il comprenait. Il travaillait beaucoup aussi et nous gagnions peu.

 

Au bout de quelques années j'étais aide-soignante puis infirmière de nuit et de weekend pour que ce soit compatible avec mes études. J'ai été médecin au bout de sept ans et nous avons eu notre fille, Nadège, la dernière année. Georges en raison d'une réforme a fait un an de plus de médecine générale. Mais il a quand même passé sa thèse un an avant moi. C'était un rapide. Et entre-temps on a divorcé. On s'est remarié début 88. Cette année-là, peu après j'ai fait une fausse couche, l'année suivante de même avec cette fois-ci une hospitalisation pour un curetage sous anesthésie. 

Georges a insisté pour que nous essayions une dernière fois, je n'y croyais plus, mais Vladimir est né l'année suivante. Nadège alors âgée de sept ans a été une petite maman pour lui. Elle savait prendre le relais de la nounou, en présence de son père. Elle s'en occupait très bien, elle était capable de lui donner un biberon préparé d’avance, de le changer en l’installant par terre... Cela m'étonne encore, c'était une enfant tellement précoce pour son âge. Elle a apprécié Vladimir tant qu’il était bébé, dès que son autonomie lui a permis des intrusions dans son espace, elle l’a très mal supporté. Elle avait besoin de calme, de solitude et lui la provoquait dès qu’il était sans surveillance. Jour et nuit je devais canaliser son comportement pour qu’il ne perturbe pas la famille ! Georges avait alors beaucoup de travail, il enchaînait les gardes médicales à haut risque d’erreur potentiellement grave. Hors de question de lui demander de prendre son tour. J’étais un zombie par moments.

Malgré ces conditions, Georges a voulu un troisième enfant. Je lui ai dit que je ne serais pas capable de l’élever comme les deux autres, avec ma santé déjà fragile je ne tiendrais pas. Il a répondu qu’il allait changer de boulot, il pourrait davantage s’en occuper. Confiante en sa parole, j’ai accepté, heureusement la grossesse a été plus facile et Vladimir a changé de comportement. Dès qu’il a su que j’étais enceinte, il ne m’a plus réveillée la nuit. Et après la naissance de Cléanthe, avec son nouveau travail, Georges a en effet pris sa part dans l’éducation de nos enfants.

Il est devenu médecin d'assurance (après avoir eu plusieurs autres expériences d'exercice : urgences, médecine légale, médecine générale). Il contrôle les parcours médicaux de certains patients, vérifie si l'arrêt de travail est justifié et surtout si le patient reçoit bien les soins nécessaires. Cette dernière mission est sa passion, il se sent alors utile. En effet il y a souvent des arrêts qui sont renouvelés sans les examens complémentaires ou les consultations spécialisées nécessaires pour établir un diagnostic et prescrire un traitement peut-être plus efficace. Aussi beaucoup de patients vont le voir en craignant son verdict et le remercient après coup. Les médecins parfois un peu moins quand ils ont laissé pourrir la situation et se sentent alors remis en cause !

Parallèlement à son emploi, il continue à étudier. Il faut dire qu’il a déjà passé plein d'examens ou concours pour ses différents modes d'exercice. C’est devenu une habitude chez lui, c’est un éternel étudiant. Forcément cela lui prend beaucoup de temps et comme il s’occupe au mieux des enfants, il ne lui en reste pas beaucoup à passer avec moi ! Je fais de plus en plus partie des meubles, une armoire bretonne... (qui est une sorte de lit clos !).

 

J'ai un mi-temps stable, avec des horaires bien déterminés. Normalement je ne travaille pas le mercredi, sauf quand il s’agit de remplacer un confrère. C'est toujours moi qui m'y colle parce que, comme ma collègue n'a pas d'enfants, il faut bien qu'elle aille profiter des enfants de ses amis. C'est son raisonnement à elle, pourquoi pas. Donc une fois de temps en temps, j’assure la permanence des soins et les enfants vont au Centre de Loisirs dans un quartier prioritaire voisin. Bizarrement la mixité sociale ne les enchante pas, ils mesurent d’autant plus leur chance d’être scolarisés dans un village de campagne calme. En plus de mon mi-temps, à certaines périodes de l'année,( pas les périodes de congés scolaires ni l'été ),  j'ai un boulot de formatrice. Ce n'est pas énorme, mais les trajets trop longs me fatiguent. Mon dernier engagement se déroule à Nantes, j’y assure une formation en soins palliatifs pour tout le personnel d’un Centre de soins. C’est passionnant, mais les trajets sont un cauchemar.

Je dépose les enfants à l'école en partant au boulot. Je n'ai pas d'horaire au sens strict, je pars quand mon travail est fini. Comme il y a un système de garde médicale, c’est exceptionnel que j'aie des problèmes pour les récupérer à la garderie. Les jours de formation je finis plus tôt, malgré les trajets. Quand je suis en stage pour ma propre formation, ce qui est rare, c'est Georges qui récupère les enfants. En fait j’assure presque toutes les contraintes à la maison, je récupère les enfants, je fais les courses, la cuisine, le ménage, le jardin... Super Woman ! Georges passe la tondeuse ­­— le moins possible — il creuse le sol quand il y en a besoin pour des plantations et bêche un petit potager. Il lave quand même la vaisselle parce qu'il ne veut pas de lave-vaisselle. Et il est censé passer l'aspirateur une fois par semaine, mais comme il faut choisir entre le créneau de l'émission passionnante à la radio et l'émission qui va commencer à la télé juste avant le repas de famille, c'est d'un compliqué ! Bref, en gros il a un quart d'heure de possible et il faut le lui rappeler systématiquement.

 

Georges travaille à temps plein, mais il « pointe », il choisit donc ses horaires. Il part très tôt le matin, vers 7H30 pour éviter les embouteillages et dépose Nadège au lycée. Il a déjà bien travaillé quand les autres médecins arrivent péniblement, pour certains à 10H. En général il est libre le vendredi après-midi, il en profite pour parcourir librairies et bibliothèques et bizarrement pas pour aider davantage à la maison. Jamais. Ni pour m'aider ni pour faire des courses ou me proposer un loisir partagé.

Une assistante maternelle garde notre petite dernière, Cléanthe, arrivée presque quatre ans après Vladimir, elle s’occupe aussi des deux autres quand ils sont malades. Une aide-ménagère vient deux heures par semaine. J’ai réussi à l’obtenir malgré l’opposition farouche de Georges qui pendant des années affirmait « ce sera elle ou moi ! ». Il a accepté le jour où au moment de sortir en famille j’ai éclaté en sanglots à la vue d’une toile d’araignée sur la rambarde de l’escalier d’entrée. Il a compris que c’était une aide ou la dépression pour moi !

Lorsqu’il a repris un cycle d’étude de droit, j’ai accepté à condition qu’il s’investisse auprès des enfants en particulier pour les accompagner dans leurs activités, surtout le weekend. Il le fait et passe ainsi de bons moments avec eux.

C'est vrai qu’en terme de tâches et d’organisation familiale c’est lourd pour moi. Avec Georges certaines discussions sont difficiles, il décide et puis terminé, le Pater familias a tranché. Heureusement, quand Nadège a été assez grande nous avons commencé à faire des conseils de famille. Autour de la table tout le monde donne son point de vue. Ainsi nous arrivons à faire passer de petites choses quand même, parce que parfois « il charrie, il charrie vraiment » comme dit Nadège. En particulier il demande à ce qu’on le laisse tranquille et donc il a tendance à refuser toute activité de loisir ou sortie, et de même il ne veut pas partir en vacances. Georges travaille beaucoup, le boulot c'est sa vie et c'est ainsi depuis le début de ses activités médicales.

Le tout début se situe en octobre 1982, c'est le premier jour de son premier stage (appelé « stage d'externe ») qui ne dure que la matinée, l’après-midi étant réservé aux cours à la Fac ou au travail personnel. Normalement il doit revenir de bonne heure, c’est juste une prise de contact et une présentation du travail attendu. Le même jour, nous quittons un appartement meublé que nous occupons depuis deux ans pour un appartement HLM. Nous avons prévu de faire ensemble l'état des lieux et de récupérer les clés à cette occasion pour emménager rapidement. Le rendez-vous est fixé à 14 H, à 500 mètres de notre appartement. Or, à midi trente, pas de Georges. Je m'inquiète un peu, c’est juste un petit retard, le temps de faire le trajet en vélo. Les minutes passent, je me dis qu'il va me rejoindre directement au nouvel appartement. Je téléphone quand même d’une cabine téléphonique dans son nouveau service. On me répond « Non, non, il n’y a personne. Tous les externes sont déjà partis depuis longtemps », ce qui est logique. Je finis par faire l'état des lieux de l'appartement, je suis dans un état tout à fait lamentable. Je prends les clés, l’agent de location part et là, c’est le désespoir, je ne sais plus quoi faire. Je vais alors voir des amis qui habitent dans la même rue un peu plus loin, par chance ils sont chez eux. Ils sont tous les deux en Fac de médecine, elle est dans la même année que moi, et lui un peu plus âgé est fils de policier. J'arrive chez eux en pleurs, comme au bout de ma vie. Elle me console, il prend les choses en main avec stratégie. Il téléphone à l’hôpital, aux cliniques, puis en dernier recours il rappelle le service de l'hôpital où Georges fait son stage en disant : « Bah allez voir, il a quand même disparu depuis ce matin ». 

Effectivement c’était une bonne idée. Une aide-soignante finit par retrouver Georges, il était presque 16 h ! Il était installé dans la petite salle des dossiers afin de les consulter. Il avait complètement perdu la notion du temps (il n’avait pas déjeuné). Et ce alors que personne ne lui avait rien demandé, puisque ça ne faisait pas partie de ses attributions, et que même légalement il n'avait pas à être là. Rassurée, je vais donc l’attendre dans notre meublé. 

 

Peu de temps après mon Georges chéri arrive « comme une fleur » et déclare : « J'étais plongé dans les dossiers, j'ai pas vu le temps passer. » Et avec un naturel déconcertant, il semble considérer que c’est normal ! Je lui passe quand même un savon. Il me dit : « Oui, oui, la prochaine fois je préviendrais. » Il n’a jamais refait de chose aussi grave, mais régulièrement il oublie de nous prévenir. Et cela lui arrive au moins une fois par an de se perdre complètement dans ses activités en cours. Il est dans son monde. Il ne se rend absolument pas compte de ce que ses comportements peuvent provoquer.

Avec le recul, en un sens ce moment où il passe son temps absorbé dans les dossiers est très révélateur. Ce jour-là il a un truc important à faire pour nous, c'est notre appartement, c'est notre vie. Un agent immobilier se déplace, il sait qu'on compte sur lui. Eh bien il est noyé dans son travail. Qu'il s'invente lui-même ce jour-là ! C'est Georges. Et toute sa vie il la passe ainsi : travailler, travailler, travailler. Gros cerveau, il a besoin de cela. Le comble c'est que je ne sais pas comment il y arrive, en particulier pour les études de droit. Ce sont des études très exigeantes, d’autant qu’il apprend ses cours tout en écoutant la télé ou la radio. Et parfois les deux en même temps en alternant les moments intéressants !

Une fois il a même conduit sur l’autoroute en relisant ses fiches de résumé de cours, en notre présence. Il considérait que c'était tout droit, donc il n’y avait pas de problème. Et cela pendant vingt kilomètres. Les enfants m'ont aidé une fois de plus. On a dit stop tous ensemble jusqu’à ce qu’il ramasse ses fiches, en râlant bien sûr. C'était en allant à Paris pour voir de la famille, un weekend horrible où nous avons cru qu’il devenait fou…

 

Début 98, quand Georges me dit parfois que je suis tyrannique, c'est surtout que je me dépatouille comme je peux. Je suis obligée d'être ferme avec les enfants. Nadège, l’ado de service critique tout ce que je fais et m’impose ses vues personnelles en sachant très bien mettre son père de son côté ; Vladimir à sept ans, plane à quinze mille, tant et si bien qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Après une bêtise, s’il est pris la main dans le sac, il répond: « c’est pas moi, c’est ma main ! ». Très petit il était en osmose avec la nature, c’était mignon, maintenant il a du mal à se connecter au monde humain, c’est pénible. Cléanthe, notre bout de chou de quatre ans, a toujours un pied de travers, elle a un corps qui n’est pas « confortable » selon ses propres mots et le plus souvent on ne peut rien y faire, si bien que je passe pour une mauvaise mère et surtout un mauvais médecin auprès des gens qui s’en occupent à l’école et à la garderie !

 

 

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Le Trésor des Laures
  • Roman d'aventure intérieure. Estelle, médecin, se trouve plongée dans une autre dimension et conduite pour sauver un homme (le fils d'un père défunt qui l'a contacté) à apprendre à Aimer et à léguer un trésor occidental méconnu. Roman illustré par Estelle.
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