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Le Trésor des Laures
6 avril 2021

Janvier 2003, Tome 1

 

2003

 

 

Janvier 2003

Depuis que j'ai repris mon histoire folle avec Alicia qui en avait suivi les grandes lignes dès le début, cela me fait beaucoup de bien. Son attitude ouverte m'émeut. C'est si rare. J'ai de la chance de l'avoir pour amie. Grâce à elle, je peux mieux gérer cette période difficile. Elle m’aide à ne pas baisser les bras, j'ai trois beaux enfants et l'homme de ma vie qui ont besoin de moi. 

Alicia est la seule personne à qui je peux faire confiance. C'est un gros risque que je prends car elle pourrait me trahir, même par inadvertance et ruinerait ma carrière si cela se savait. Mais je suis trop malade pour avoir ce genre de scrupules, ma vie est en jeu, je veux tout faire pour me donner le maximum de chance…

En médecine classique on sépare le corps de l'esprit, c'est la pensée de Descartes qui s’impose. Si j'ai choisi d'être médecin c'est parce que je voulais rendre service aux autres, les aider, ce qui implique pour moi non seulement des prescriptions de médicaments, des soins corporels ou des interventions, mais aussi de prendre en compte la personne humaine dans sa globalité, avec ses particularités, son histoire, ce qu'elle ressent, etc. Pourtant il y a une carence d'humanité dans la conception actuelle de la médecine, un besoin non satisfait par l’exercice « classique ». 

Pour ce qui est de la psychiatrie, elle souffre en France de ne voir que par Freud et Lacan. Jung ne compte pas, comme s'il payait de s'être séparé de son «Père» spirituel, Freud, déifié, devenu intouchable, incontestable. Or, sans enlever les mérites des deux premiers, chez eux la dimension spirituelle de l'homme ne compte pas. Cependant l'homme n'est pas qu'un corps, il est un esprit, et pour l’esprit la recherche du sens est primordiale. 

Bruno Bettheleim qui a vécu dans un camp de concentration raconte bien dans Le Cœur conscient (1960) cette perte de sens lorsqu'il s'est vu avec d'autres contraint de déplacer des pierres la journée entière, sans raison, sans but, sans aucun sens apparent. Et il raconte aussi que parmi ceux qui n’étaient pas anéantis, tels des « cadavres ambulants », il y avait les Témoins de Jéhovah (dont il ne faut retenir ici que le fait religieux et non la dérive sectaire) et les juifs russes qui vivaient dans des kibboutz (en raison de leur force communautaire). Sur les premiers, voici ce qu'il dit : « Non seulement ils faisaient preuve d'une dignité et d'un comportement moral exceptionnels, mais ils semblaient protégés contre l'influence du milieu concentrationnaire qui détruisait rapidement des personnes que mes amis psychanalystes et moi-même jugions bien intégrés. » Ils parlent de « personnalité bien intégrée ». Des intellectuels, par exemple, spécifie-t-il plus loin. C'est un freudien qui dit cela ! Le « mauvais élève » Jung n'aurait pas été surpris. Les symboles font sens. La symbolique est au cœur même de l'humain. Sans pensée magique, sans religion, sans foi, sans notion de sens, etc., pas d'homme. On peut se passer de religion, c'est mon cas, mais pas de sens. Ni de spiritualité, ce qui n'est pas à confondre avec la religion.

 

J’ai enfin eu mes premiers rendez-vous avec des spécialistes, pour l’instant il faut continuer les examens complémentaires. Je commence un traitement d’hypothyroïdie, mais cela ne peut expliquer mes symptômes et puis c’est une maladie à la mode, probablement parce qu’elle est facile à diagnostiquer et à soigner. Une victoire de la médecine moderne ! Je viens de passer l’IRM après une attente de rendez-vous pendant deux mois, pas de lésion décelable du cerveau… J’ai quelques anomalies sur l’électrocardiogramme, mais selon le cardiologue mon cœur est sain et n’est pas responsable de mes troubles. Georges qui m’accompagne à chaque rendez-vous discute avec lui. Aucun de nous ne comprend ce qui se passe pour l’instant. Mais ce médecin d’expérience qui s’apprête à prendre sa retraite prend mes troubles très au sérieux et programme d’autres examens avant d’envisager un traitement. En attendant, selon lui je dois rechercher dans mon passé un épisode qui pourrait avoir été précurseur, aussi bien sur le plan physique que psychologique : un traumatisme, un choc relativement récent susceptible d’avoir perturbé la régulation de mon coeur.

Dès mon retour à la maison, je reprends donc mon journal et je trouve un épisode que nous avions banalisé par la suite.

En 1997, au moment d’un accident ischémique transitoire (un accident vasculaire de courte durée), j'ai vécu l'espace d'un week-end un gros délire cauchemardesque suivi d'extases. Après cet épisode, je savais que j'avais un cerveau... différent. J'en ai parlé à quelques médecins et psy autour de moi. Ils ne se sont pas posé de questions, pensant que c'était juste un « bad trip ». Mais inquiète des conséquences cérébrales éventuelles, j’ai insisté pour qu'on me surveille discrètement. Concrètement, j'ai demandé à deux personnes d'être vigilantes, mes témoins et garde-fous en quelque sorte : mon mari pour la vie privée et ma consœur la plus proche pour superviser mon activité professionnelle. Ils n’ont pas repéré de problème.

 Par ailleurs après un tel accident vasculaire, je me suis interrogée. Dans la partie extase, Dieu m'avait quand même parlé ! Il m'avait prévenu que j'aurais des épreuves, je vivrais des choses difficiles, mais je serais aussi guidée, protégée, aidée. Et Il m'a fait monter, comme Jacob à l'échelle (dite justement de « Jacob »), jusqu'à ce que je Le voie. J'ai « vu » Dieu en « Face », et … j'ai eu la trouille de ma vie. 

Pendant 24 heures j'ai vécu des dialogues extraordinaires avec Dieu... ouah ! Mon cerveau était quand même touché ! Ce que j’en ai retenu c’est que tout « était dans les lettres de la Bible » et qu’Il enverrait vers moi quelqu’un au « nom d’homme et de lumière ». Il faut dire que j’avais entendu parler du livre « Le code de la Bible » paru récemment. Selon l’auteur le déchiffrage de la Bible en hébreu contenait tous les événements passés, présents et à venir de l’histoire humaine. Georges l’avait acheté, il me l’a prêté. Je l’ai lu pour essayer de comprendre mes propres « révélations », cela ne m’a rien apporté.

Mais bon tout le monde le sait, personne ne peut voir Dieu en face. C'est une forme de représentation qui de plus m’était étrangère puisque je n’avais pas eu d’éducation religieuse dans mon enfance. Après d’intenses recherches à la bibliothèque, grâce à quelques rares écrits de religieux évoquant à mots pudiques ce type d’expérience, j’avais été soulagée de comprendre que d’autres humains avaient vécu quelque chose d’approchant. 

 

Dès que j’ai revu Alicia en ce début janvier, je lui en ai fait part. Elle m’aide à plonger dans mes souvenirs dilués par mon immense fatigue, elle n’a pas banalisé du tout et m’a dit que je ne m’en tirerai pas par un récit aussi distancié, elle m’a demandé de raconter les faits depuis le début. 

C’était un vendredi dans l’un des services de soin où je travaillais habituellement. J’ai d’abord été en état d’ébriété en fin de matinée après avoir été aspergée copieusement par une patiente avec une bouteille d’eau de Cologne. Tout le monde a bien ri. Mais le surveillant de l’étage concerné m’a fait faire une déclaration d’accident de travail parce que l'incident pouvait engager ma responsabilité. Si on me demandait de faire quelque chose, j'en étais incapable. Puis il m'a emmenée dans mon bureau, je pense que c'est lui qui a téléphoné à Georges. En gros il a dit : « Elle est complètement pompette, elle ne peut pas conduire, il faut venir la chercher ». Et Georges a répondu : « OK, je passe en début d'après-midi. » En attendant son arrivée, j’étais dans mon bureau en sécurité. C’était un espace fermé avec des toilettes privées.

Mais là j’ai soudain un goût métallique dans la bouche et un délire me saisit, c’est monstrueux. Je me retrouve complètement dissociée, mon corps est assis sur une chaise et ma conscience est réfugiée sous les canalisations du lavabo. Je suis une espèce de petite chose terrifiée par un danger monstrueux. Et il y a un corps à côté dont je ne sais pas quoi faire. Ce n'est plus moi. Heureusement mon instinct a pris le dessus. Il a pris les commandes, et mon corps s'est aspergé d'eau. Allez hop ! Un peu d'eau froide et ma conscience a réintégré mon corps. 

Je me suis ensuite servie de cette expérience professionnellement. C’était utile pour aider les délirants à passer le cap en attendant que le traitement agisse, j'utilisais des serviettes humides pour les « réassocier ».

Mais le délire n’était pas fini. J’avais conscience d’être mouillée, on m’avait rincé les cheveux, je m’étais aspergée d'eau..., donc j'avais envie de me déshabiller. Et même j'avais une envie de me mettre nue, totalement hallucinante ! Heureusement j’en étais incapable physiquement. J'ai d’abord envisagé d'appeler le surveillant pour venir m'aider, parce que j'étais aussi incapable d’aller aux toilettes, je ne savais plus comment faire. La petite voix de ma conscience m'a dit : « T'as envie de te déshabiller, ma fille, après t'as envie de lui sauter dessus, ta libido, là, elle ne sait plus ce qu'elle fait, non, non, non... Trop dangereux, trop dangereux. ». 

J'ai réussi à composer le numéro de bip de mon autre consœur médecin. Elle a vu le numéro correspondant à l’étage où j’étais, c’est tout ce que cet appareil permettait de voir. Elle a essayé de comprendre ce qui se passait, elle en a entendu parler dans le service, elle a fini par deviner que j'étais peut-être dans mon bureau. Rapidement elle m'a aidée pour les toilettes. Ensuite elle a insisté pour me faire parler, mais je n'y arrivais pas, je ne pouvais plus faire de phrases, il y avait encore des mots mais décousus. De toute façon, hors de question de lui raconter que j'étais en train de délirer, elle était très influencée par la psychanalyse... Dans ma tête c'était « non, on n’en parle pas, c’est un délire ! ». 

Je n'arrivais plus très bien à contrôler mon corps, il était maladroit, tout était lourd, tout était... très compliqué. J'arrivais maladroitement à marcher quelques pas, je me tenais au mur pour ne pas tomber. Et j'avais toujours ce goût métallique vraiment très fort. Au point que j'ai pensé plus tard que j'étais intoxiquée à l'eau de Cologne. J'ai demandé en médecine du travail des analyses qui n’ont rien donné d’exploitable. 

Avec ce goût horrible je n'avais absolument pas faim, mais là aussi mon instinct a pris le dessus : « Oh, d'habitude tu ne supportes pas d'avoir faim, tu n'as pas déjeuné. » Donc j'ai demandé à mon amie, comme une étrangère parlant une langue dont on ne connaît que les mots essentiels : « manger ». Elle savait que je faisais des malaises si je ne mangeais pas à temps, elle a été chercher des biscottes et une compote. Ensuite, je ne me souviens plus des détails, mais Georges est venu me chercher. J'ai dû passer l'après-midi au lit. Et là, extase... Dieu me parle... par intermittence pendant plusieurs heures. C’était un vendredi, le lendemain j'avais l'air normale. Donc Georges m'a déposée au Centre de soin parce que j'avais laissé ma voiture sur le parking.  Je suis passée dans le service pour vérifier que je n'avais pas fait d’erreur la veille. C'était alors ma seule angoisse. 

Mais j’ai rapidement eu une sensation de bizarrerie car lorsque je croisais des personnes du service, contentes de me revoir en bon état, je les embrassais. Je constatais leur surprise, cela ne me ressemblait pas du tout. Je suis donc partie très vite. J'ai quand même voulu faire les courses avant de rentrer. J'ai dû abréger aussi car les couleurs me parlaient, elles m'attiraient, je les voyais... comme des êtres vivants. Et les bruits du magasin étaient assourdissants tout en me paraissant incompréhensibles. Je ne savais plus si c'étaient des chansons ou des messages publicitaires. Tout était confus. J'ai fui le plus vite possible. 

Sur la route en conduisant j'ai commencé à me rendre compte que j'avais des problèmes moteur du côté droit et des difficultés d'attention. Je ne savais même pas si j'allais pouvoir rentrer. Heureusement je n’habitais pas loin, dix minutes c'était vite fait, j'ai réussi. Quand je suis arrivée à la maison en fin de matinée, je me suis immédiatement couchée et j’ai somnolé. 

J’étais incapable de me lever, Georges et Nadège se sont relayés pour m'amener les repas. Je ne pouvais plus parler. Mon côté droit était fourmillant et ne répondait plus très bien. J’avais une paralysie partielle, mais sans en être consciente, parce que j'étais dans un état second qui a fini en extase. Je me souviens juste que je suis allée aux toilettes tout près de la chambre en me tenant au mur. Je n'arrivais même plus à formuler « il est en train de se passer quelque chose ». C'était juste : « J'vais y arriver ! Je me débrouille toute seule, j'dis rien à personne, j'vais y arriver ! » Si bien que Georges, peu attentif il faut le dire, ne s'est rendu compte de rien. On en a parlé après, les enfants et lui ont cru que j’étais seulement fatiguée. 

Chacun menait sa vie dans cette maison, personne ne s’est inquiété. Le lendemain, j’étais encore dans un état second mais pas trop visible manifestement. L'après-midi, il faisait beau, je suis allée dans le jardin. Et là, j'étais parfaitement bien. J'écoutais les oiseaux, je sentais les odeurs comme si c'était la première fois de ma vie. Tous mes sens étaient d'une fraîcheur incroyable. J'étais émerveillée. 

Tout à coup j’ai vu un tournesol, un très grand solitaire qui avait poussé dans un massif de fleurs variées. J’ai stoppé net, fascinée par la disposition harmonieuse de ses graines en spirale et … je suis devenue tournesol !

Puis j'ai entendu Nadège qui approchait en appelant « Maman, Maman ». Elle était un peu inquiète, mais je voulais rester tournesol et je lui ai donné une gifle ! Aussitôt je me suis dit : « Non, là si je donne une claque à ma fille que j'aime tant et qui s'inquiète pour moi, c'est qu'il y a un gros problème ! ». Je suis alors redescendue sur terre. 

 

Très peu de personnes l’ont su. J’ai vu le médecin du travail, selon lui ce n’était pas assez long pour être un Accident Vasculaire Cérébral, d’autant que j’étais soi-disant trop jeune pour en faire un, d’après les connaissances de l’époque. On en a déduit que j'avais fait un spasme vasculaire, et probablement sur la cicatrice liée au traumatisme crânien, donc à l'accident que j'ai eu à l’adolescence. Voilà. Je ne voulais surtout pas que tout le monde le sache, le milieu médical est sans compassion pour les collaborateurs malades, j’avais eu plusieurs occasions de voir mes confrères à l’œuvre. Seul ma consœur et amie le savait pour me surveiller discrètement au boulot et Georges me surveillait à la maison.

Dieu m'ayant parlé, j'ai consulté la littérature mystique. Et sur le plan de la psychologie, j’avais demandé à Alicia de m’aider dans mes recherches, sans lui dire pourquoi.

Grâce à elle, fin 97, j'ai découvert Jung et il m'a sauvée du désespoir. Ce que je lisais m'a plu tout de suite parce que lui, faisait quelque chose de toutes ces perturbations psychiques. Quelle que soit l'intensité des formes délirantes, c'est à intégrer, à travailler et c'est un processus d'individuation. C'est mieux que de se dire : « Bah non, t'es complètement folle ma pauv' fille, et voilà tout. »  

Attends, trois enfants, un boulot, des responsabilités, 38 ans... 38 ans et ta vie est foutue ? Mais non. J'ai choisi la vision de Jung.

 

Février 2003

Alicia qui connaissait toute mon histoire compliquée avec Mandro depuis 98 a été surprise de ce récit de « délire post accident vasculaire ». Elle pense que c’était important d’en parler, même si elle comprend mes raisons de l’époque de rester discrète. Elle m’avait déjà donné accès à ses notes, elle me fournit maintenant la retranscription de quelques-uns de nos entretiens qui lui semblaient importants. Elle est rassurée que sur les conseils du cardiologue j’ai pris rendez-vous d’ici un mois avec un psychiatre.

En attendant j’ai revu ce vieux médecin qui après un examen d’effort me conduisant au bord du malaise m’a prescrit un traitement pour essayer de maintenir ma tension. J’ai entendu quelques mots de sa discussion avec l’interne qui l’accompagnait et j’ai lu dans les yeux attristés du jeune homme la confirmation que n’ayant pas récupéré rapidement, il y avait peu de chance que je reprenne ma vie comme avant. Le cardiologue a pourtant rassuré Georges et m’a dit qu’il ferait tout pour m’aider au mieux. En fait je n’étais pas inquiète, lors de ce malaise j’avais eu la vision globale d’un symbole dont l’importance m’avait été révélée peu à peu. Et mon guide spirituel par communication intérieure me montrait la route à suivre pour « guérir ». 

Je suis dans un état physique déplorable, incapable d’un effort modéré au-delà d’un quart d’heure, mais pleine d’espoir et de force intérieure. Je dois continuer à écrire pour ne pas mourir… et travailler en profondeur sur la trame de ma vie pour espérer trouver le nœud du problème. Aussi je replonge dans mon journal de l’époque, les notes et les retranscriptions par analyseur vocal d’Alicia.

 

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  • Roman d'aventure intérieure. Estelle, médecin, se trouve plongée dans une autre dimension et conduite pour sauver un homme (le fils d'un père défunt qui l'a contacté) à apprendre à Aimer et à léguer un trésor occidental méconnu. Roman illustré par Estelle.
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